CGLE 2024 | Quel accompagnement scientifique pour une transition agro-écologique des territoires d’eau ?

Evènements | Séminaire | Publié le 1 février 2024
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Type : Séminaire “Sciences et décision publique”
Date : Jeudi 1er février 2024, de 9h30 à 10h30
Lieu : Carrefour des gestions locales de l’eau – Rennes
Organisation : Creseb
Public cible : Elus, gestionnaires, scientifiques

Un séminaire dédié à la place de l’accompagnement scientifique dans des démarches territoriales de transition agro-écologique et alimentaire a été proposé par le Creseb, lors de la 25° édition du Carrefour des gestions locales de l’eau (CGLE 2024). Au travers de leur expérience au sein de trois projets de recherche-action, les intervenants ont témoigné de la complexité et de la transversalité des questions posées à la recherche et l’appui scientifique.

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Participants

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Intervenants

Table of Contents

Après plusieurs années de politiques publiques visant la reconquête de la qualité de l’eau et malgré les progrès accomplis, les résultats obtenus restent partiels. Des travaux scientifiques, et en particulier plusieurs expertises scientifiques collectives, montrent que l’atteinte des objectifs de qualité nécessite d’accompagner les territoires dans une approche plus globale permettant d’impulser une transformation des systèmes agricoles et alimentaires. Cet appel à des approches systémiques des transitions à l’échelle des territoires constitue un véritable défi pour l’accompagnement scientifique.

Ainsi, des acteurs scientifiques cherchent à initier des projets de recherche-action visant la co-construction de trajectoires de transition agroécologique avec les acteurs de territoires, pour aller vers des solutions durables en lien avec la qualité des eaux en nitrates (projet Pretabaie) ou en pesticides (projet Envezh). D’autres initiatives sont lancées par des collectivités, telle celle d’Eau du Bassin Rennais et son projet Terres de Sources, qui rassemble agriculteurs, transformateurs, consommateurs et collectivités pour labelliser des productions locales respectueuses des ressources en eau et en air du territoire. Cette démarche sollicite également l’appui de scientifiques.

La nécessité de co-construire un cadre partagé de réflexion interroge la démarche de recherche-action : Où positionner l’appui scientifique dans un projet de transformation à l’échelle d’un territoire ? Quels appuis et expertises scientifiques nécessitent d’être développés ? Comment articuler enjeux scientifiques et opérationnels sur ce type de projets ?

Intervenant.e.s

Replay non disponible

Odeline BILLANT, ingénieure de recherche INRAE (UMR SAS), en charge du projet PRETABAIE.

Esther REGNIER, enseignante-chercheure en économie de l’environnement à l’UBO (UMR AMURE), membre de l’équipe porteuse du projet PRETABAIE.

Gérard GRUAU, directeur de recherche CNRS (UMR Géosciences Rennes), co-président du Creseb, porteur du projet ENVEZH pour le CNRS.

Daniel HELLE, chargé du développement Terres de Sources au sein de la Collectivité Eau du Bassin Rennais (CEBR).

Catherine DARROT, maître de conférences en sociologie à l’Institut Agro Rennes Angers (UMR ESO), référente du comité scientifique de Terres de Sources.

Romain PANSARD, coordinateur du Creseb (animation)

Des projets différenciés par leur genèse et leur accompagnement scientifique

Les trois projets dont témoignent les intervenants visent une transition agro-écologique avec une forte dimension de transformation territoriale, mais avec trois situations contrastées :

  • Terres de Sources, un projet à l’initiative d’une collectivité ayant intégré un comité scientifique dans son partenariat. L’idée fondatrice de Terres de Sources est de développer un partenariat économique entre les territoires de production et de consommation d’eau dans une logique de gagnant-gagnant. En contrepartie d’engagement des agriculteurs à  adopter des pratiques respectueuses de la qualité de l’eau, la collectivité Eau du Bassin rennais (CEBR) travaille à une meilleure valorisation économique de leurs produits par le biais du développement de la commande publique (consommation de denrées alimentaires de restaurants collectifs publics du territoire) et par la valorisation des produits agricoles sur le marché grand public pour entraîner les habitants du territoire dans la dynamique (apposition du label Terres de Sources sur des produits issus d’exploitations engagées dans la démarche, et mis en rayon sur le territoire).
  • Pretabaie, une étude de préfiguration portée par des chercheurs pour faire émerger un projet de recherche-action dans les territoires ‘algues vertes’. Une équipe de scientifiques issue du groupe d’appui à la politique publique de lutte contre les algues vertes, a engagé une réflexion pour développer une approche plus systémique et interdisciplinaire au-delà des leviers classiques de réduction des fuites de nitrate. L’objectif est de poser les fondements d’un projet de recherche-action centré sur les transitions agricoles, en co-construction avec les acteurs des territoires concernés. Il s’agit donc 1) d’interagir entre scientifiques pour puiser, dans chacune des disciplines mobilisées, des éléments d’analyse, des concepts et outils qui permettent de construire une vision complémentaire des situations et des solutions à apporter et 2) d’aider les parties prenantes opérationnelles à exprimer et construire leur questionnement en les croisant avec ceux des scientifiques, de renforcer leur capacité à concevoir les scénarios envisageables. Le but final est de faire émerger des projets partagés et réalisables dans de bonnes conditions.
  • Envezh, un projet porté par des chercheurs ayant trouvé un guichet financier et en phase de maturation avec 27 parties prenantes acteurs des filières agricoles et du territoire. Sur la base d’une offre de recherche, les scientifiques ont construit une candidature de recherche-action ayant pour objectif d’expérimenter une réduction importante des usages de produits phytosanitaires de synthèse (PPS) sur le territoire de l’Oust (Morbihan), en associant à sa construction le syndicat mixte du bassin versant (SMGBO) et des acteurs des filières agricoles et agroalimentaires. Ce projet collaboratif implique les scientifiques dans son portage et son accompagnement pour le montage, l’animation et la mise en cohérence des actions, ainsi que dans son évaluation sur l’amélioration de la qualité des eaux permise par la démarche.

Des attentes et des questionnements pour répondre aux enjeux opérationnels et scientifiques

Dans le projet Terres de Sources, le collectif scientifique (CS), mis en place au départ par cooptation, remplit plus de fonctions qu’un comité scientifique classique (contextualisation, orientations, mise à disposition de connaissances). Du fait que Terres de Sources bénéficie d’une durée confortable (10 ans), l’accompagnement scientifique évolue sous forme d’une organisation en collectif de recherche c’est-à-dire en associant des chercheurs en cours de projet pour une production de connaissances multidisciplinaires in itinere en agro-hydrologie (évaluation des actions sur sol et eau), économico-juridique (marchés locaux, double flux économique public et privé), sociologique (comment les agriculteurs s’embarquent dans ce changement sociotechnique). Il mène aussi un travail de conseil et d’expertise, d’évaluation ex-ante[1] (production de données, indicateurs). Le processus d’intervention des scientifiques nécessite une certaine flexibilité et un dialogue entre le porteur de projet et le CS, par exemple pour décider quand une question doit être traitée et comment elle doit être traitée. 

Dans la phase de définition et de montage du projet Envezh (2022), la première étape a été la construction d’un discours partagé sur l’intérêt de réduire fortement l’usage de PPS aux bénéfices des écosystèmes et des humains. L’étape suivante a été de mettre une diversité d’acteurs (filières, accompagnement/conseil agricole, collectivités, associations, etc…) autour de la table pour travailler et expérimenter cela en définissant des actions concrètes au bénéfice d’un territoire. La posture du scientifique ici est d’être en position neutre, de mobiliser les partenariats et les moyens financiers (France 2030), et d’accompagner les réflexions des acteurs pour identifier et définir leurs actions. L’avantage du projet Envezh est de disposer ensuite d’une étape de maturation de 18 mois (2024-mi 2025) permettant, avant le déploiement effectif du projet, de préciser la feuille de route. Des questions de recherche émergent sur le partage des données étant donné les situations concurrentielles entre organismes du secteur privé (filières agro-industrielles), et sur les indicateurs de résultats vis-à-vis de la qualité de l’eau.

L’étude Pretabaie se situe plus en amont que les 2 autres projets et dans un contexte de trois décennies de recherche sectorielle sur les marées vertes. Aujourd’hui, le développement d’une approche holistique des problématiques des territoires apparaît comme une condition de participation, à la fois des équipes des bassins versants et des scientifiques. De la part des territoires, s’expriment des besoins de guidance pour opérationnaliser une approche complexe à l’échelle d’un territoire où l’action publique fonctionne ‘en silo’ (difficulté de travail en transversalité et cohérence). S’exprime aussi le besoin d’être outillé et accompagné pour s’accorder collectivement sur la définition et les attendus des transitions agro-écologiques (acception différente selon chacun) et sur les échelles pertinentes d’actions (du local au national et supra). Les fronts de recherche mis en discussion par les scientifiques portent sur les enjeux de synergie ou rivalité entre les différentes ressources (eau, énergie, alimentation, foncier, …), la possibilité de cohabitation entre des modèles agricoles conventionnels optimisés et des modèles plus alternatifs, sur le partage des risques associés aux changements et transitions, sur le suivi et l’évaluation des transformations.

Des conditions nécessaires à la réussite d’une co-construction et d’une véritable transition

Afin de rendre visible l’effet de changement de pratiques et de systèmes de production, il est important de pouvoir massifier l’engagement des acteurs agricoles et agroalimentaires. G. Gruau souligne l’importance de réaffirmer sous forme d’engagement pour chacun, la volonté commune d’aller vers une réduction des PPS sur le territoire d’expérimentation mais aussi au niveau des filières de façon générale. En tant que sociologue, C. Darrot signale la différence d’implication entre les acteurs pionniers enclins à s’engager dans des transitions agricoles et les acteurs très éloignés de l’agroécologie qu’il est plus difficile d’embarquer. Pour avoir un effet d’entrainement, cela pose des questions de recherche sur les types de messages audibles selon la catégorie d’agriculteurs et sur les chemins pour embarquer et aller vers des transformations. A titre d’exemple, il est plus mobilisateur d’aborder le dialogue avec les agriculteurs et les questions de transitions agroécologiques à partir de leurs difficultés (revenus, transmission, foncier) que par l’entrée « eau, environnement ». Une autre question qui se pose est la résilience des exploitations agricoles face aux crises successives (économiques, climatiques).

Pour faire la preuve du concept, D. Helle rappelle la nécessité pour les scientifiques de « descendre dans l’arène » afin de co-construire avec les agriculteurs de Terres de Sources, les indicateurs d’évaluation de leurs pratiques. Pour E. Régnier, l’expérimentation locale avec les plus motivés permet de faire la charge de la preuve à une certaine échelle et d’identifier les verrous pratiques et techniques ainsi que ce qui est lié à une situation donnée et ce qui peut être transposé. La notion ‘d‘indicateurs de chemin’ est précieuse, tout en étant vigilant à ce que ces indicateurs peuvent cacher.

Dans le projet Pretabaie, le questionnement scientifique est un préalable à la co-construction de recherche-action et l’autre préalable consiste à rendre ces questions intelligibles et mobilisatrices pour les acteurs opérationnels. Il est donc nécessaire d’avancer ensemble, d’explorer les problématiques posées par les uns et les autres et de réinventer les collaborations.

NB : L’usage dilatoire de la recherche scientifique dans le cadre de la gestion des pollutions de l’eau a été interrogé mais n’a pu être débattu faute de temps.


[1] Une évaluation ex ante intervient avant la phase de mise en œuvre pour analyser la justesse du diagnostic initial et confronter les hypothèses qui sous-tendent l’action. En termes de critères, l’évaluation ex-ante peut s’intéresser à la pertinence et à la cohérence de l’intervention, mais également à l’intensité nécessaire, aux types de partenariats à nouer, à la durée requise de l’action ou encore aux effets attendus.

Pour en savoir plus

Parcelle Cereale Yvel
Projet ENVEZH | Alliance bretonne pour une réduction massive de l’usage des produits phytosanitaires de synthèse en agriculture et un déploiement accéléré de l’agroécologie
échouage d'algues vertes dans la baie de St-Brieuc
PRETABAIE | Vers un projet de recherche-action sur la transition agro-écologique des baies à marées vertes
Terres de Sources – Site internet