CGLE 2016 | De l’incertitude scientifique à la décision politique

Evènements | Séminaire | Publié le 26 janv. 2016
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Type : Séminaire “Sciences et décision publique”
Date : 26/01/2016
Lieu : Carrefour des gestions locales de l’eau, Rennes
Organisation : Creseb
Public cible : Elus, gestionnaires, scientifiques

Le Creseb et le CSEB se sont associés dans le cadre du séminaire “sciences et décision publique” lors du Carrefour des gestions locales de l’eau (CGLE 2016) sur le thème “de l’incertitude scientifique à la décision politique”. L’incertitude fait partie intégrante de la science et pourtant les décideurs attendent des réponses précises de la part des scientifiques pour pouvoir fonder leurs décisions. L’incertitude peut conduire à l’indécision ou à retarder la décision. Cependant, dans bien des cas, même si les phénomènes scientifiques ne sont pas connus avec certitude, des prises de décision sont possibles.

Les politiques de l’eau s’inscrivent dans un contexte de changement global. Le climat, mais aussi la croissance démographique, les évolutions économiques, l’urbanisation et l’occupation de l’espace impliquent pour le gestionnaire de la ressource en eau de prendre en compte l’ensemble de ces interdépendances, mais aussi de nombreuses incertitudes. Par exemple, dans le domaine de la modélisation climatique, plusieurs types d’incertitudes se cumulent en cascade : liées à l’action humaine (émissions de gaz à effet de serre), à la nature aléatoire du climat, aux incertitudes sur les données et aux limites des modèles.

L’incertitude fait partie intégrante de la science (variabilité des systèmes naturels, imprécision des mesures, lacunes dans les connaissances, etc.). Or, les décideurs attendent en général des réponses précises de la part des scientifiques pour pouvoir fonder leurs décisions. L’incertitude peut conduire à l’indécision ou à retarder la décision. Pourtant, dans bien des cas, même si les phénomènes scientifiques ne sont pas connus avec certitude, des prises de décision sont possibles.

L’objectif du séminaire était d’examiner comment, dans le cadre de travaux sur l’eau, les incertitudes sont appréhendées dans la démarche scientifique en tant que telle (partie 1) et dans la construction des politiques publiques (partie 2).

Ouverture du séminaire 
Michel Demolder, Co-président du Creseb, et Chantal Gascuel, Présidente du CST du Creseb

1ère partie – L’incertitude comme fait scientifique

Les incertitudes liées au monde du vivant
Eric PETIT (INRAE Rennes, UMR ESE)

Il existe des chercheurs qui s’intéressent à tous les sujets, même les plus incongrus : certains se sont amusés à
classer les sources d’incertitude rencontrées dans leur domaine d’activité, à savoir la science. Leur but est en
particulier de permettre une meilleure compréhension des résultats de la science par les non scientifiques, afin
de permettre une meilleure intégration de ces résultats dans la décision publique.
A travers quelques exemples pris dans le domaine de la biodiversité et de l’évolution, E. Petit illustre quelles sont les
principales sources d’incertitude. Il insiste sur un aspect important mais méconnu de ces questions, à savoir
que le hasard fait partie des processus à l’oeuvre dans le monde vivant.

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Les incertitudes dans les modèles d’aide à la décision pour la gestion des ressources halieutiques
Etienne RIVOT (Agrocampus Ouest Rennes, UMR ESE)

Une gestion raisonnée des écosystèmes et des ressources renouvelables implique notamment de s’appuyer sur l’ensemble des connaissances disponibles et de les intégrer dans des modèles afin de diagnostiquer l’état des écosystèmes et des ressources qu’ils abritent et de prédire leur évolution sous différents scénarios de gestion.
Dans le cadre d’une approche de précaution, il est essentiel de quantifier le plus rigoureusement possible les différentes sources d’incertitudes. En effet, sous-estimer l’incertitude conduit à surestimer notre capacité à prédire l’évolution des écosystèmes, et peut mener à sous-estimer les risques de surexploitation des ressources.
Au travers d’exemples issus de modèles utilisés pour la gestion des pêches, E. Rivot illustre comment la modélisation peut nous aider à quantifier les sources d’incertitudes, en partant des incertitudes dans les observations et en allant jusqu’à l’analyse de leur propagation dans les prédictions.

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Les incertitudes liées aux agro-hydrosystèmes : savoir ce qu’on ne sait pas pour mieux comprendre et prévoir
Patrick DURAND (INRAE Rennes, UMR SAS)

La modélisation des agrohydrosystèmes offre une représentation simplifiée du fonctionnement d’un système complexe, hétérogène, et par nature impossible à décrire complètement. Comme dans les autres domaines des sciences de l’environnement, les incertitudes sont fortement liées à la qualité et à la quantité de données disponibles, mais aussi à la nature même de l’opération de modélisation (hiérarchisation des processus et formulation mathématique).
L’utilisation du modèle pour prédire une évolution future se heurte de plus à l’impossibilité de prendre en compte tous les facteurs influents et leur caractère aléatoire. Ainsi, les résultats obtenus sont entachés d’une forte incertitude, dont il importe de bien connaître les origines et les caractéristiques pour pouvoir interpréter valablement ces résultats, tant sur le plan scientifique qu’opérationnel. Négliger cette incertitude, c’est s’exposer à l’illusion de l’expertise infaillible, mais aussi au rejet et à l’incrédulité, mais la surestimer, c’est se priver d’un outil de compréhension et d’aide à l’action dont l’utilité est avérée.

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Les incertitudes et le dialogue entre le spécialiste et le décideur
Eric GAUME (IFSTTAR Nantes, Département Géotechnique, Environnement, Risques naturels et Sciences de la Terre)

L’exposé aborde trois questions illustrées par des cas concrets issus d’expériences acquises dans le domaine
de la prévention et de la prévision des inondations :

  1. Les freins à l’explicitation des incertitudes dans le dialogue entre spécialistes et décideurs,
  2. L’importance de la prise en compte des incertitudes dans les processus de décision,
  3. Le nécessaire travail de formation devant accompagner la publication d’incertitudes.

Il s’appuie notamment sur les conclusions d’un groupe de travail du conseil scientifique du SCHAPI (Service central hydrométéorologique d’appui à la prévision des inondations) mis en place pour établir des recommandations sur l’évaluation et la diffusion des incertitudes associées aux prévisions.
Les incertitudes sont en effet bien souvent considérées comme problématique dans le dialogue entre les spécialistes et les décideurs et, pour cette raison, minimisées ou tout simplement ignorées. Le spécialiste peut, à tort ou à raison, considérer que l’on attend de lui des conclusions ou des prévisions précises et que l’incertitude pourrait révéler son niveau d’ignorance et mettre en cause sa légitimité. L’expérience montre que les experts ont en général tendance à surévaluer leur niveau d’expertise et à minimiser les incertitudes associées à leurs prévisions. L’explicitation des incertitudes place par ailleurs le décideur dans la situation bien plus inconfortable d’avoir à arbitrer et prendre un risque au lieu de s’en remettre aux conclusions du spécialiste.
L’explicitation des incertitudes implique évidemment un transfert de responsabilité de l’expert vers le décideur.
Décider reprend tout son sens, c’est-à-dire : prendre un risque assumé. L’erreur d’appréciation de l’expert peut moins facilement être invoquée et les critères de décision du décideur et le risque pris plus facilement contestés.
Au-delà de ce premier constat, l’incertitude fait partie intégrante de l’information et les décisions prises sur la base de cette information dépendent du niveau d’incertitude qui lui est associé. Ignorer les incertitudes ou les minimiser peut conduire à des décisions inappropriées. Cela est illustré à partir de quelques exemples concrets. Par ailleurs, la minimisation des incertitudes est stérilisante et n’incite pas à tenter d’enrichir l’information disponible pour la prise de décision. Or, cet enrichissement est souvent possible et souhaitable.
Enfin, si la prise en compte des incertitudes dans les prises de décision est souhaitable, elle n’est pas évidente.
Les incertitudes doivent être diffusées sous une forme qui doit être compréhensible par les utilisateurs de l’information, qui ont de plus des besoins et des attentes variées. Le processus de prise de décision sur la base de données incertaines et les arbitrages sur les niveaux de risques acceptables doivent être préparés et argumentés et ne peuvent être improvisés en particulier en période de crise. L’utilisation de données incertaines demande donc un travail préparatoire de formation et de préparation des arbitrages.

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La décision publique face à l’incertitude : clarifier les règles, améliorer les outils
Denis BARD (EHESP Département METIS, Comité de la prévention et de la précaution)

La réflexion du Comité de la Prévention et de la Précaution (CPP) sur la prise de décision en situation d’incertitude s’est développée à partir de la problématique santé-environnement, mais elle revêt un caractère général. Il ne s’agit pas pour autant d’édicter des principes exhaustifs et intangibles de l’action publique mais plutôt de clarifier quelques concepts et d’avancer quelques pistes pour l’amélioration des décisions publiques face à l’incertitude.
Il s’agit du choix d’engager une action publique afin de prévenir ou réduire les dommages éventuels, et le cas échéant sur les modalités de cette action. En pratique, la décision publique comporte plusieurs choix, généralement effectués par étape : le régime sous lequel se placer (aucun, prévention, précaution), l’action à caractère temporaire et l’action pérenne.
La décision publique n’est pas prise par une entité omnisciente ou omnipotente. Elle se fonde sur des informations relatives à la situation, et elle intervient dans un champ social où sont engagés des acteurs. Elle ne se résume pas à une dimension sanitaire et environnementale, même dans le champ santé-environnement. Elle peut comporter des effets humains, sociaux et économiques étendus, et elle a un coût financier.
En démocratie, la prise d’une décision éclairée suppose donc un très grand nombre d’interactions avec des acteurs concernés par ces conséquences ou porteurs d’une information pertinente, particulièrement en présence d’incertitude. La position fondamentale proposée par le CPP est que ces interactions devraient être systématiquement intégrées dans un processus préétabli d’élaboration de la décision publique. Une formalisation de ce processus est ainsi proposée.

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Déveine ou aubaine ? L’introduction de l’incertitude climatique dans la gestion de l’eau en France et au Québec
Vincent MARQUET (IRSTEA et Université de Bordeaux)

En quelques décennies, le changement climatique s’est affirmé comme un objet de recherche central pour la communauté scientifique et comme une question sociale et politique de premier plan. Dans ce cadre, l’incertitude du changement climatique tant du point de vue des connaissances que des capacités d’action y est présenté comme un élément inhérent de ce problème.
Cette communication analyse les enjeux de la diffusion de l’adaptation au changement climatique dans les politiques territoriales de gestion des risques et de gouvernance des ressources en eau au regard de ces incertitudes. En mobilisant, un cadre théorique empruntant à la sociologie des épreuves, à l’actionnisme et à la sociologie des espaces de définitions des problèmes publics, la communication permet de déterminer ce que peut produire la mise en visibilité du changement climatique et des incertitudes qui s’y rapportent dans la gestion territoriale de l’eau. On revient ainsi sur trois situations contrastées.
Tout d’abord, un cas d’expertise de type lanceurs d’alerte lors de la gestion d’une inondation (Richelieu, Québec). Une situation où l’expertise s’intègre dans les enjeux actuels de gestion de l’eau (la révision du plan de gestion des étiages de la Garonne) ; cependant, l’appropriation stratégique des incertitudes du changement climatique par les acteurs de l’eau contraint le potentiel transformateur. Enfin, une dernière situation où l’expertise dégagée des enjeux actuels (la prospective Garonne 2050) tend à produire une tension cognitive qui se révèle insuffisante pour engager les acteurs vers de nouvelles pratiques. Il ressort finalement que l’incertitude introduite par l’adaptation au changement climatique favorise les temporalités plus courtes et les intérêts institués qui prévalent dans les activités locales de gestion.

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1ere partie L’incertitude comme fait scientifique – Echanges avec la salle

2nde partie – La place de l’incertitude dans la construction des politiques publiques

2nde partie – La place de l’incertitude dans la construction des politiques publiques – Echanges avec la salle
Clôture du séminaire
Michel Demolder, Co-président du Creseb, et Chantal Gascuel, Présidente du CST du Creseb

Documents de synthèse et de contexte disponibles

Lettre d’infos n°8 – décembre 2016 – “Incertitudes, démarche scientifique et action publique” – Retour sur le séminaire « science et décision publique » organisé à l’occasion du Carrefour des Gestions Locales de l’Eau en janvier 2016 – Téléchargement (2,40 Mo)
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La décision publique face à l’incertitude | Clarifier les règles, améliorer les outils